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Sacré nom de Dieu ! (2008)

Une nuit d’orage. Réfugié dans son bureau avec Marie, venue le soigner, Flaubert est exténué, tout l’atteint ce soir là : « une crise nerveuse » éprouvante, Louise sa maitresse qui vient de lui annoncer par courrier qu’elle le quitte, sa difficulté à écrire Madame Bovary, jusqu’à la nature même qui se déchaîne. Mais le doute existentiel qui l’effleure est bien vite balayé par un immense coup de sang salvateur qui le « remâte ». Il est à vif et soliloque en prenant Marie à témoin, sur ses contemporains, sur les fausses valeurs, sur l’amour, sur l’Art, avec une énergie qui lui fait oublier toute prudence.

Librement inspiré de la correspondance de Gustave Flaubert.

Pièce de Arnaud Bédouet , Gustave Flaubert

Montée par Loïc Corbery

Avec Jacques Weber, Magali Rosenzweig

Théâtre de la Gaîté Montparnasse à Paris
Paris : du 3 Juin 2008 au 10 Août 2008

 

Loïc Corbery :

A travers sa correspondance, Flaubert apparaît comme un immense personnage de théâtre. Son verbe, son lyrisme, l’ampleur de ses rêves, son exigence, évoquent tour à tour Falstaff, Don Quichotte, ou bien encore Alceste. A une époque où la société et ses représentants sont en crise, où les repères se brouillent, où la résignation menace, il m’a semblé bon et salutaire d’écouter la rage d’un homme qui tenait la gageure « de vivre en bourgeois et de penser en demi-dieu. » C’est une colère terriblement actuelle, pleine d’énergie et de joie, car il y a de la joie jusque dans ses pires détestations. C’est une parole en liberté, jamais contrainte et sincère dans son adresse- la correspondance n’était pas encore un genre littéraire en soi. A la suite de Flaubert, on est prêt à bannir de nos vies, le faux, le petit, l’éphémère. Prêt à naviguer dans le grand, à quitter le port pour la haute mer, à vivre dans l’idéal.

Il y a une quinzaine d’années, l’amitié et une collaboration artistique de longue date amenèrent Jacques Weber et Arnaud Bedouet, alors partenaires de scène, à explorer un nouveau rapport de travail pour eux : celui d’un auteur avec son acteur. Arnaud se mit en quéte d’une parole d’envergure littéraire et charnelle qu’il trouva chez Flaubert, ou plutôt dans sa correspondance, cherchant moins à évoquer l’écrivain que l’homme, il en fit une brillante adaptation dont Jacques fut l’interprète. Le spectacle fut crée au théâtre de Nice, puis longuement repris à Paris. L’aventure d’alors fut un succés, révélant un auteur consacré quelques temps plus tard par l’écriture de Kinkali.

Aujourd’hui ce spectacle va revoir le jour. Pour une simple reprise ? Non, et pourtant ce serait déjà une raison suffisante. Redonner à entendre la pensée intime et crue que Flaubert confie aux différents destinataires de ses lettres. Une pensée débridée, dépouillée de tout objectif littéraire, une rage d’écrire, d’aimer et de mordre, impossible pour lui à exprimer telle quelle dans ses romans, Les mots d’un créateur, déconnectés de son acte de création, pour le raconter d’autant mieux. Et pour se donner une chance de donner l’écho nécessaire à la brutalité et à l’âpreté lumineuse de cette pensée, il faut en élargir le champ.Voilà pourquoi aujourd’hui nous travaillons sur une nouvelle création de la pièce.

L’auteur a remis son texte à l’ouvrage, il a donné à Flaubert un interlocuteur, une partenaire, un miroir. L’age et les rencontres ont éveillé l’acteur à des nouvelles formes de son art, de nouvelles envies, de nouvelles exigences. Et le regard porté sur la réunion de ses deux mondes, un texte et un acteur, nous oblige à repenser la représentation d’alors. En élargir le champ encore et toujours. Ne se limiter en rien ni dans l’espace ni dans le temps, pouvoir se défaire de tout naturalisme, de toute volonté d’incarnation, abolir toute référence historique ainsi que toute convention théatrale, pour explorer un endroit de parole, libre, franc et suffisamment vierge et poétique pour mobiliser l’autre, le spectateur dans sa conscience et son imaginaire, lui laisser résoudre seul les questions posées, et le laisser rêver vraiment.

Pour qu’une parole ait de l’écho, il faut pouvoir la lancer dans le vide. C’est là la vertu des grands textes et cette correspondance est de ceux-là…Etre mis à l’épreuve de l’épure et en sortir grandi. Comment aujourd’hui donner à entendre la parole d’un homme, lui permettre de nous toucher, de nous provoquer, de nous explorer et vouloir, presque à posteriori, découvrir que c’était celle de Flaubert...

Et seulement alors être pris de vertige quant à sa pertinence, son actualité et par là son « intemporalité ».Voilà l’enjeu principal… Mais peu à peu s’inscrit en moi une autre évidence face à ce travail… une autre envie… plus intime, plus anecdotique peut-être, et c’est sûrement là son intérêt. Lecture après lecture, je m’aperçois que je n’aurais pas pu trouver une plus belle matière pour raconter le regard que je porte sur l’acteur et sur l’homme qu’est Jacques Weber.

Arnaud ne s’y était pas trompé, la langue et les états de l’âme de Flaubert lui vont comme un gant. A tel point, que là encore, la théâtralité, cette fois-ci de l’acteur, cette théâtralité merveilleusement viscérale, souvent juste et enivrante, parfois confortable et encombrante, devra être assourdie, détournée, aiguisée, pour n’en garder qu’une note fragile et rare, un diapason qui ouvre alors la partition à toutes les libertés, qui autorise l’acteur à tous les possibles, tous les impossibles, et les impensables. Raconter moins Flaubert que Gustave, moins Weber que Jacques.