D'après la correspondance de Gustave Flaubert à Louise Colet, Maxime Du camp et Louis Bouiller Adaptation et mise en scène : Arnaud Bédouet Avec Jacques Weber 1996 : Théâtre Hebertot à Paris |
"Une pensée libre et jubilatoire où s'expriment à
la fois dans les entre lacs de la passion le stoïcisme et la misanthropie,
l'amour et le nihilisme, la cruauté et le grotesque. On découvre
un être attachant, un grand personnage de théâtre perdu dans
ses contradictions, ses passions et sa mauvaise foi. Un Flaubert que seule sa
correspondance pouvait nous faire connaître, à l'antipode de l'image
d'Epinal de l'Ermite de Croisset. Ses prises de position sans mesure, sa révolte
contre la bêtise humaine et les aberrations de la société
trouvent un écho dans notre actualité avec une rare justesse.
Le simple montage des lettres de Flaubert ne me semblait pas être le "matériau"
que je souhaitais. Nous étions encore trop près du fameux Gustave
Flaubert et trop loin de cet homme inconnu au travail; à Arnaud Bédouet
qui fut le premier à me parler de la correspondance de Flaubert, je demandais
d'écrire. Je savais qu'il trouverait le fil d'Ariane, le muscle, le câble
disait Flaubert, qui tendrait une situation autour de laquelle se construirait
une pièce de théâtre."
"Entrer dans la correspondance de Flaubert c'est comme plonger dans un ouragan. Un ouragan qui vous empoigne et vous précipite au gré des humeurs de l'écrivain, sur les récifs de sa révolte, vous dresse contre les falaises de la bêtise qui l'étouffe, vous engloutit dans les abysses de son désespoir, vous roule aux déferlantes de sa colère avant de vous échouer sur le rivage serein de sa plénitude créatrice. Vous en sortez exangue, saoulé et rincé mais diablement d'aplomb, prêt à y retourner tête baissée. (...) Le verbe de Flaubert et la plénitude de ses images annoncent un Falstaff, un Don Quichotte, un Alceste. Nous sommes dans la démesure des sentiments et tout à coup au Théâtre."
Je suis un bourgeois qui vit retiré à la compagne et qui s'occupe
de littérature, voilà tout. Si mon oeuvre est bonne, si elle est
vraie, elle aura son écho, dans six mois, six ans, ou après moi.
Qu'importe ! (...) Il n'y a qu'une chose qui me déciderait à revenir
à Paris, Eugène, une seule chose: qu'on me propose l'Académie
Française. Alors là, Eugène, j'y pars ventre à terre.
Et je joue le jeu jusqu'à la réception. Je suis prêt à
me renier auprès de mes amis pour avoir le plaisir de m'adresser à
ces Jean-foutre. Quelle jouissance, Eugène, quelle jouissance.
http://membres.lycos.fr/dorothee/weber.html
"Gustave et Eugêne", c'est la correspondance entre l'auteur
de "Madame Bovary" et le compagnon de solitude qu'il imagine: son
jardinier. Dans ces lettres, Flaubert se dévoile, se livre totalement:
il se confie à Eugêne, laissant libre court à ses colères,
ses dégoûts,ses tendresses.
"Gustave et Eugêne", c'est une heure de langage cru, de texte
"brut", sans convention,. C'est non seulement Flaubert-auteur obsédé
par la perfection de l'écriture- mais aussi Flaubert dans son siècle:
juge de son épouse, des conformismes et des vanités qui la caractérisent.
C'est ainsi que transparit encore mieux la cruauté lucide de son langage.
Qu'il parle d'amour, des femmes ou de la poésie, Flaubert ne prend pas
de gants pour distribuer les coups à la bêtise. C'est donc sans
réserve qu'il écrivait et c'est sans réserve que Jacques
Weber, seul sur scène, s'empare pour une prestation époustouflante
d'un acteur rare et sincère.
Par une suite d'orage, le rideau se lève sur un décor simple et
dépouillé: une chambre garnie d'une table commune et de deux chaises.Insommiaque,
l'écrivain écrit, s'arrête, s'emporte éparpillant
les feuillets, les lettres. Pour entrer dans la peau de son personnage Jacques
Weber apparaît bedonnant. Dans la solitude de la campagne normande, Gustave
imagine un compagnon: son jardinier Eugêne à qui il se confie.
Il laisse libre cours à ses colères, à son désespoir,
à ses tendresses. C'est l'auteur de Madame Bovary qui se dévoile,
juge son siècle et ses contemporains avec ironie et une certaine cruauté
dans un langage cru sans concession. Il livre à Eugêne ses conceptions
sur l'amour, le sexe, la poésie, l'écriture, les idées
reçues, les vanités. Il égratigne au passage le sentimentalisme
romantique d'un Lamartine, d'un Musset. Un des temps forts de la pièce
est certainement celui où, debout sur la table, il se moque de l'Académie
Française en imaginant l'éloge funèbre qu'il ferait de
Musset. Il part en guerre contre le laid, le faux, l'hypocrisie à la
manière d'un misanthrope.